Rugby : Serge Simon, le vice-président qui se mêle de tout
(Article paru dans le JDD du 7 mars 2018)
On le savait pilier de rugby, médecin, producteur de films, consultant télé, élu municipal et soutien du PS, auteur de livres, président du syndicat des joueurs Provale, animateur radio, chef d'entreprise, directeur de campagne de Bernard Laporte. Depuis décembre 2016, Serge Simon, 50 ans, Niçois de cœur et Girondin d'adoption, est vice-président de la Fédération française de rugby (FFR). Son rayon d'action, aussi éclectique que ses mille vies, justifie un salaire mensuel de 9.800 euros, hors avantages en nature. Le manager des équipes de France est chargé du marketing, de la communication et des relations avec la Ligue. En réalité, il règne partout. En octobre, il affirmait dans Sud Ouest : "On en a fait plus en neuf mois que nos prédécesseurs en dix ans." Il s'est en effet passé beaucoup de choses.
Le politique intrigant.
Sa méthode est simple. Lorsqu'il arrive quelque part, il instaure le chaos pour mieux prendre la main ensuite
Jusqu'au-boutiste, séditieux, intelligent, Serge Simon ne recule devant rien. "Sa méthode est simple, décrypte un ancien collaborateur. Lorsqu'il arrive quelque part, il instaure le chaos pour mieux prendre la main ensuite." A peine débarqué à Marcoussis, son dessein est clair : il veut spolier la Ligue (LNR), cette "filiale commerciale de la Fédération". Le combat du vice-président de la FFR est porté à la fois par une soif de revanche personnelle contre cette instance, avec laquelle il a souvent ferraillé par le passé, et par la conviction intime que l'argent généré par le rugby professionnel doit revenir dans la caisse fédérale. Vingt ans après sa création, la LNR affiche un budget de plus de 130 millions d'euros. Il y a aussi la manne des droits télévisés (97 millions en moyenne par saison entre 2019
et 2023)…
Pour parvenir à ses fins, Serge Simon réclame les têtes de Paul Goze et du directeur général, Emmanuel Eschalier, "le cardinal de Richelieu" du président de la Ligue, dit-il en privé. En vain. L'été dernier, il ourdit une mutinerie dont Mohed Altrad, le président du club de Montpellier, devait être le meneur, soutenu par d'autres, notamment Toulon et Bayonne. Ce groupement de clubs dissidents, pour lequel Simon va jusqu'à imaginer la création rapide d'un fonds de dotation, devait devenir l'unique interlocuteur de la FFR. Mais l'affaire Altrad-Laporte éclate et ce nouveau plan d'attaque est tué dans l'œuf.
Après l'éviction de Guy Novès de son poste de sélectionneur et le flot d'indignation qui l'a accompagné, la FFR a eu besoin de la Ligue, du soutien des clubs et de leurs entraîneurs, pour donner l'illusion d'un rugby français soudé comme jamais. Comme si de rien n'était, Simon susurre depuis quotidiennement à l'oreille d'Eschalier, dont il s'est subitement rapproché. Jusqu'au prochain coup de poignard?
Le manager détonnant
En décembre, Simon réalise un "audit" sur les maux du XV de France, à partir d'une trentaine d'échanges téléphoniques avec des acteurs du rugby. Ce rapport existe-t-il? Nul n'en a en tout cas vu la trace. Pas même l'avocat de l'ancien sélectionneur, qui le réclame pourtant depuis plusieurs semaines à la Fédération. En se payant l'icône Novès pour "faute grave", le vice-président provoque un retournement d'une partie de l'opinion. La folle nuit des Bleus à Edimbourg n'arrange rien. Selon l'entourage proche de certains joueurs écartés de la sélection depuis cet épisode, Simon a invité les joueurs à se "changer les idées" et à passer "une bonne soirée" après la défaite en Ecosse.
Banni à vie du XV de France en 1991, après deux sélections, pour des faits de violence sur le terrain, Serge Simon est-il légitime en tant que patron de la sélection? En février 2017, ils sont en tout cas nombreux à être décontenancés de le voir voyager avec femme et enfants dans l'avion fédéral qui convoie les Bleus de Nice à Dublin. Un mélange des genres qui connaît d'autres épisodes. Lorsque, l'été dernier, ils font escale à Mayotte sur le chemin de l'Afrique du Sud, les Tricolores accordent l'exclusivité médiatique à la chaîne Kwezi TV. Dont Simon est l'un des actionnaires.
Sa fascination pour les médias est ancienne. Quand, au mois de novembre, France Télévisions refuse de retransmettre le match France - Nouvelle-Zélande disputé à Lyon, Simon plie sans trop combattre. Tant pis pour l'exposition des Bleus, qui seront diffusés par TMC et beIN Sports. Selon des proches, le vice-président rêverait d'une énième future vie à France Télévisions. Le bon filon pour développer l'activité de la société de production audiovisuelle Jjess Prod, qu'il a créée en 2003?
Le commercial arrangeant
Touche-à-tout, le vice-président de la FFR vend en ligne des tee-shirts "Hasta le rugby" via la société Auckland Consulting. L'activité déclarée de cette SARL (ingénierie, études techniques), gérée par son frère Eric, est sans rapport avec la mode. Côté vestimentaire, il mène à la FFR le dossier du Coq sportif, équipementier des Bleus à partir du 1er juillet 2018, et jusqu'en 2024. Les questions demeurent sur les raisons qui ont poussé à préférer la marque française, encore financièrement fragile à l'époque, au géant Adidas, partenaire en place depuis 2012 qui, il est vrai, proposait moins.
En 2016, Le Coq sportif affichait un résultat net négatif de plus de 12 millions d'euros, selon une note interne de la FFR que nous nous sommes procurée. Sera-t?il, donc, en mesure d'honorer son contrat? Simon n'en doute pas. Le 19 juin 2017, Marc-Henri Beausire, le patron de la holding suisse Airesis, actionnaire majoritaire du Coq sportif, s'engage à fournir une garantie bancaire à première demande à hauteur "d'un montant minimal de 3 millions d'euros". Le 27 juillet, Laporte, Simon et Beausire dînent ensemble en Corse. En novembre, le trésorier de la FFR annonce que la garantie couvrira 50% du contrat de partenariat, dont le montant (non dévoilé) est estimé à un peu plus de 5 millions d'euros.
A Marcoussis, Simon veille également sur le marché des hospitalités, une source importante de revenus lors des événements organisés par la Fédération. Il gère, par exemple, l'attribution des loges du Paris Sevens 2017, l'étape française du circuit mondial de rugby à 7. L'agence Nabuchodonosor, dont le patron, Antoine Borgey, est son ami de longue date, est la seule à répondre à l'appel à la concurrence. Problème : elle n'offre pas le montant minimum requis. Le vice-président obtient de son camarade une proposition à la hausse. Mais les prévisions sur la rentabilité de l'opération finissent par inquiéter Borgey. Simon trouve la solution : la FFR va racheter une partie des loges… Certaines sont revendues à prix coûtant. Une autre est offerte au groupe Altrad. Tout est bien qui finit bien : Nabuchodonosor a obtenu le marché au prix de sa proposition initiale et le Paris Sevens 2017 se révèle une opération financière bien supérieure à la saison d'avant pour la Fédération.
Fort de cette expertise, Simon travaille déjà sur le business de la Coupe du monde 2023. La FFR l'avait mandaté pour rédiger les statuts constitutifs du groupement d'intérêt économique (GIE) qu'elle a créé le 15 septembre avec Sodexo, avant de lui préférer Thierry Murie, un autre élu, sans que l'on en connaisse la raison… Baptisé Rugby Hospitalités et Voyages, le GIE a acquis pour un montant de 82,8 millions d'euros les hospitalités de la compétition qui sera disputée en France.